Les Sentinelles de la Nation

par l’association « Les Sentinelles de la Nation », 7 juillet 2020

Ce funeste soir du 4 juillet 2020, Mélanie LEMEE, gendarme et championne de judo, a poussé son engagement jusqu’au sacrifice suprême en faisant face courageusement à son meurtrier.

A l’image d’Arnaud BELTRAME dans les instants fatidiques de son dernier combat, Mélanie n’a pas mentalement égrené les droits et les devoirs que la loi fixe au gendarme. A cet instant précis, elle était la Loi, on l’a tuée !

Arnaud et Mélanie ont en commun un serment et avec lui le sens d’un don de soi qui implique la possibilité du sacrifice. Leur profession n’est pas un métier, c’est une mission. Leur mort, du fait intentionnel d’autrui ne peut pas être, ne sera jamais, un accident du travail.

Bien sûr, ces deux gendarmes ont leurs itinéraires respectifs, mais leur destin est commun. Chacune de leur mort n’est ni concours de circonstances, ni produit de mauvais calculs bénéfice/risque. Elles relèvent toutes les deux encore moins d’erreurs manifestes d’appréciations. Leurs morts accomplissent tragiquement la fidélité à leur serment.

Curieuse chose, en vérité, que le serment dans notre République. En effet, les médecins, les gendarmes, les policiers et les juges de l’ordre judiciaire y sont assujettis. Remarquons que, pendant la crise sanitaire, ces différents corps assermentés ont eu un rôle central pour permettre à la société de tenir.

Certes n’ont démérité ni l’ensemble des soignants, ni tous ces acteurs vitaux de la subsistance économique – y compris par télétravail – qu’ils soient du commerce, des transports ou des services. Nombre d’entre-eux ont risqué leur vie pour que survive le lien social.

Il reste que médecins, membres des forces de l’ordre et magistrats, tous assermentés sous l’autorité de pouvoirs qui ne le sont pas, tous ont constitué l’ossature de la société. En cette qualité, ils ont permis de ne pas laisser sacrifier les plus fragiles. Ils ont empêché de s’installer l’anarchie, qui opprime toujours les plus faibles. Ils ont été des Sentinelles de la Nation.

Revenons au curieux statut du serment en France ; acteurs politiques et juges administratifs en sont exonérés. Pourtant, implicitement ou non, ils agissent « au nom du peuple Français ». Mais les magistrats des juridictions financières sont eux assermenté. Serait-ce parce qu’on ne badine pas avec l’argent ? Il y aurait donc en matière d’engagement deux poids, deux mesures.

Autre anomalie, certains politiques adoptent l’adage selon lequel « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ». Les mêmes peuvent rappeler à leur serment les membres des forces de sécurité placées sous leur autorité. Certains n’hésitent même pas à désavouer l’usage scrupuleux que fait de son serment tel gendarme devant la Représentation Nationale ! On remarquera au passage que ne sont aucunement assermentés les députés qui recueillent et exigent le serment de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité aux personnes auditionnées devant une commission d’enquête parlementaire.

Au sommet même de l’Etat, les membres du Conseil Constitutionnel prêtent Serment devant un Président de la République qui, lui, ne prête serment ni sur la constitution, ni devant le peuple français souverain.

A l’autre extrémité de l’univers institutionnel, un statut de l’élu municipal doit être lu par le Maire au premier conseil en vertu de l’article L1111-1-1 du Code général des Collectivités territoriales. L’application littérale de cet article conduirait à une longue et fastidieuse lecture intégrale du texte. C’est pourquoi, en pratique, la remise des documents fixant les obligations de l’élu est rendue informelle et n’a, sauf exception, aucune solennité !

L’absence de serment ou au moins de signature solennelle, n’incite pas les nouveaux élus à percevoir la gravité de l’instant. Les textes judicieusement exigeants sont d’une lecture quasi facultative dans les faits. L’élu peut prendre conscience, seulement s’il s’y oblige, de la rigueur morale que requiert sa nouvelle fonction…

Il ne s’agit évidemment pas de douter de la conscience de quiconque mais d’observer que l’euphorie de l’instant de la remise des écharpes peut flatter les égos. La griserie des propos élogieux et des félicitations n’est guère propice à une prise de conscience profonde et généralisée des responsabilités.

Henri GROUÈS (1), grand résistant élu député à la libération, refusait toute félicitation au motif qu’on ne félicite pas pour une charge ! Les nouveaux élus sont hors d’état de mesurer le poids des charges qui les attendent. La prise de fonction des politiques en France est donc aux antipodes de ce qu’est le serment laïc que prêtent membres des forces de l’ordre et magistrats de l’ordre judiciaire. Cette carence est un non-sens. Or, aujourd’hui, la crise de la confiance est aussi une douloureuse crise du sens.

Le 28 mars 2018, dans la Cour d’honneur des Invalides, les Français étaient rassemblés dans l’unité de leur douleur et de leur révolte devant le cercueil d’Arnaud BELTRAME. Le Chef de l’Etat a alors dit de lui que son sacrifice nous oblige. Il aurait dû nous obliger tous, en effet !

L’insoutenable horreur de la mort de Mélanie LEMEE dans la fleur de l’âge nous oblige aussi assurément ! Parce que cette mort atroce est aussi d’une atroce absurdité, elle nous oblige à rétablir le sens. Spécialement le sens de l’engagement, particulièrement dans la sphère politique et dans celle de la justice administrative. Alors la belle cohésion nationale du 28 mars 2018 pourra-t-elle se retrouver.

Un jour, il faut l’espérer, ceux qui envoient les forces de sécurité au combat et donc à une mort toujours possible, prêteront serment devant le peuple français souverain. Alors, ceux qui risquent leur vie au service des autres se sentiront mieux portés par les autorités qui les commandent. Alors peut-être la nation retrouvera-t-elle un peu de sa cohésion et la société un peu plus de sa sérénité. Ce jour-là, elle devra se souvenir durablement de Mélanie et de tous ses camarades morts dans l’accomplissement de leur mission.

Dr Gérard Chaput, le président

Jean Marc Forge, Membre du CA

(1) Henri GROUÈS, plus connu sous le nom d’Abbé Pierre