Le devoir de Mémoire, quel sens pour notre jeunesse ? - Conférence à Lyon
« De tous les besoins de l'âme humaine, il n'y en a pas de plus vital que le passé. »
Simone Weil
Chers jeunes, chers amis,
C’est avec une émotion sincère que je m’adresse à vous aujourd’hui, ici même, au cœur de cette belle région d’Auvergne Rhône-Alpes, chargée d’histoire et de mémoire. Cette terre, où la nature majestueuse côtoie les cicatrices du passé, a vu s’écrire des pages de courage et de souffrance. Elle garde les empreintes profondes de la Résistance, des luttes pour la liberté, mais aussi des tragédies humaines.
Comment ne pas évoquer les enfants d’Izieu, déportés parce qu’ils étaient juifs ? Comment ne pas se souvenir des maquis du Vercors, haut lieu de la Résistance où vécurent mes propres parents ? Ou encore du fort Montluc, sinistre témoin de l’emprisonnement, de la torture et de l’exécution de tant de résistants ? Ces lieux, et tant d’autres, sont les gardiens de notre histoire commune.
Mais aujourd’hui, c’est à vous, jeunes générations, que je souhaite poser ces questions :
Pourquoi le devoir de mémoire est-il important pour vous ?
De quoi, ou de qui, devons-nous faire mémoire ?
Quel lien entretenez-vous avec ces événements, ces récits, ces sacrifices ?
Ces questions ne sont pas seulement des interrogations sur le passé ; elles sont des invitations à réfléchir à votre avenir, à votre rôle dans la transmission de l’histoire.
La Transmission, Un Acte Fondamental
J’ai souvent constaté, lors des cérémonies commémoratives, que certains jeunes, motivés et impliqués, y participent avec une sincérité admirable. Mais la majorité n’y assiste pas. Pourquoi ? Peut-on leur en vouloir ? Absolument pas.
Si aucun aîné – parent, enseignant, ou autre – ne vous a montré l’importance de ces moments, comment pourriez-vous y trouver un sens ? Si la mémoire ne vous est pas transmise, comment pourriez-vous en comprendre la portée ? Ce n’est pas un reproche, mais une responsabilité qui incombe aux générations qui vous précèdent : celle d’éveiller votre conscience, de raviver cette flamme du souvenir, et de vous aider à voir combien elle éclaire votre propre chemin.
Car comprendre son passé, c’est mieux se connaître soi-même. Chaque être humain, chaque nation, se construit à la croisée des souvenirs, des héritages et des rêves d’avenir. Se souvenir n’est pas seulement un devoir envers ceux qui ont donné leur vie ; c’est un devoir envers nous-mêmes.
Pourquoi Se Souvenir ?
Notre monde change à une vitesse vertigineuse. Les repères d’hier vacillent, et les certitudes d’autrefois s’effacent. Pour les plus âgés, la mémoire est une ancre, un moyen de revisiter un passé qui a forgé leur identité. Pour les plus jeunes, pleins d’énergie et de projets, l’avenir semble tout absorber. Pourtant, ces deux temporalités ne sont pas opposées : elles se complètent.
Nous ne pouvons répondre à la question fondamentale – Qui suis-je ? – sans nous interroger sur nos origines. Chaque jeune, qu’il en soit conscient ou non, cherche à se construire une identité. Et cette quête passe inévitablement par le lien au passé. La mémoire est une fondation et un tremplin, un fil invisible qui relie les générations.
Accuser les jeunes d’indifférence serait injuste. Bien au contraire, ils montrent souvent un engagement admirable lorsque nous, les anciens, leur donnons les moyens de comprendre. C’est à nous de vous transmettre les leçons de l’histoire sans chercher à vous charger d’un trop lourd fardeau dont nous serions les auteurs. L’enthousiasme suscité par les commémorations du centenaire de la Grande Guerre en est la preuve : des milliers de jeunes ont participé à des projets mémoriels, des recherches, des cérémonies.
Pourquoi cet intérêt soudain ? Parce qu’en réalité, la mémoire touche à une question universelle : celle du sens. En s’intéressant au passé, nous ne faisons pas qu’honorer des héros, nous répondons surtout à un besoin fondamental : celui de comprendre d’où l’on vient pour mieux savoir où l’on va.
Chaque génération a besoin de Héros, elle a besoin de modèles, de figures inspirantes qui incarnent des valeurs universelles : courage, altruisme, solidarité. Hier, les figures héroïques portaient les noms de Jean Moulin ou des résistants anonymes. Aujourd’hui, ces héros existent encore : Arnaud Beltrame, Maxime Blasco, et tant d’autres, qui ont sacrifié leur vie pour protéger la nôtre.
Ces hommes et femmes ne sont pas des héros inaccessibles. Ils sont des exemples de ce que signifie aimer et servir. Leur courage nous rappelle que la véritable grandeur réside dans le don de soi, dans cet élan vers l’autre. C’est cette leçon que nous devons transmettre à notre jeunesse : celle de l’engagement, du dépassement de soi, et de l’altruisme.
Une Mémoire Vivante.
Le centenaire de la Première Guerre mondiale, célébré en 2018, a marqué une étape symbolique : la disparition des derniers témoins directs de ce conflit. À partir de ce moment, nous sommes passés de la mémoire vivante à celle de l’histoire.
Mais ce passage ne signifie pas l’oubli. Au contraire, il ouvre une nouvelle responsabilité : celle de trouver des moyens modernes et créatifs de préserver cette mémoire. Vous, les jeunes, êtes les architectes de cette mémoire nouvelle.
Demain, commémorer ne signifiera peut-être plus seulement déposer une gerbe ou lire un discours. Peut-être que vos générations inventeront des formes inédites d’hommage : des films, des témoignages numériques, des projets artistiques ou citoyens. Ce qui importe, ce n’est pas le rituel, mais le sens que vous y mettrez.
Nation
Enfin, n’oublions pas que notre pays repose sur des femmes et des hommes, des sentinelles de la Nation qui veillent. Elles sont militaires, policiers, gendarmes, pompiers, soignants… Ces sentinelles, par leur engagement quotidien, incarnent les valeurs de notre République.
Comme le disait Ernest Renan, « une nation repose sur une volonté de vivre ensemble et sur une mémoire partagée. » Cette mémoire doit être ce ciment, ce lien précieux qui unit les générations et les peuples. Face aux nombreux défis de notre époque, nous devons aujourd’hui plus que jamais, rester unis et fidèles à ces valeurs.
L’association que j’ai l’honneur de présider, Les Sentinelles de la Nation, porte cette ambition : transmettre, unir, et raviver cette flamme. La mémoire n’est pas un fardeau du passé, elle est une lumière pour l’avenir.
J’ai espoir et confiance en vous,
Dr Gérard Chaput
Président des Sentinelles de la Nation