Les Sentinelles de la Nation

Conférence sur la résilience – Le Louvre 8 Novembre 2022

[/et_pb_row]
[/et_pb_column]

Monsieur Jérôme Foucaud, directeur de la Direction de l’Ordre Public et de la circulation

Madame la directrice de l’Inspection Générale de la Police Nationale

Monsieur le président de l’Union des Blessés de la Face et de la Tête

Monsieur le professeur Safran

Mesdames, messieurs,

Je suis particulièrement ému, et fier, de parler aujourd’hui devant vous dans l’auditorium du musée du Louvre à Paris. Si j’ai accepté cette invitation, c’est d’abord sur l’insistance de quelques amis de la Police parisienne dont la confiance m’a beaucoup touché malgré mon peu de goût pour les estrades. J’ai voulu honorer cette invitation en raison de la proximité des grands magasins du Louvre qui ont permis d’accueillir pendant la Première Guerre Mondiale, en lien avec le Val de Grâce, les blessés de la Grande Guerre. Vous n’êtes pas sans savoir que la cause des blessés de la Nation me tient tout particulièrement à cœur.

Pendant ce terrible conflit, le concept de résilience n’était pas encore médiatisé, ni même connu, quelques initiés mis à part. Aujourd’hui, ce thème fait partie de notre quotidien jusqu’à sembler en devenir banal malgré sa richesse et son importance.

C’est un sujet tellement vaste qu’il nécessiterait de long développements. Vous me permettrez donc de l’aborder hélas que trop superficiellement.

Avant d’aller plus avant dans mon propos, qu’il me soit permis de lever une incompréhension trop souvent affichée ces dernières années. La Résilience semble avoir envahi l’espace public jusqu’à devenir aujourd’hui une expression courante devenue très à la mode. Son usage est parfois celui d’un véritable fourre-tout avec de temps à autre, une connotation qui la réduit le plus souvent à une certaine forme de passivité comme a pu en témoigner Le New York Times Magazine dans un essai intitulé « Le vide profond de la” résilience ». Ce texte voulait dénoncer le risque important d’une utilisation maladroite de la résilience la substituant en résignation, à l’inaction et la compliquant au lieu de l’éclairer. Par ce propos, je voudrais donc, vous montrer qu’il n’en est rien, bien au contraire car la résilience n’est absolument pas la résignation.

Alors, quelle définition donner à la résilience ?

La difficulté à la définir semble tenir de la nature de l’homme et de son histoire. Comme toujours, lorsque les compréhensions d’un mot ou d’un concept sont limitées, l’étymologie se révèle précieuse parce qu’elle permet de « dire » ce qu’elle est.

Résilience vient du verbe latin resilire, lui-même construit sur un préfixe RE (à nouveau) et SALIRE qui veut dire monter. La résilience est donc la capacité d’un individu à faire face aux situations difficiles (qu’elles soient traumatiques ou non) et à rebondir. C’est d’ailleurs l’explication qu’en donne généralement la physique des matériaux.

Dans l’histoire, Francis Bacon est le premier à employer ce terme. D’autres suivront tels Sigmund Freud avec les nombreux soldats traumatisés de la Première Guerre Mondiale, Anna Freud et René Spitz avec les enfants victimes de traumatismes. C’est avec les années 1930 que ce terme commence à se vulgariser. L’approche psychologique se popularise lentement notamment avec l’écrivain André Maurois parlant de la vie de Georges Sand :

« Dans ce deuil, encore une fois, elle étonna ses amis

par son immédiate résilience ».

Enfin, vient le temps des chercheurs français de la Fondation de l’enfance, parmi lesquels on retrouve Manciaux, Lecomte, Tomkiewicz, Vanistendael et Cyrulnik qui arrivent rapidement à un consensus sur la définition de la résilience : 

« La résilience est la capacité d’une personne ou d’un groupe à BIEN se développer et à continuer à se projeter dans l’avenir, malgré des événements déstabilisants, des conditions difficiles de vie, des traumatismes parfois sévères ».

Cette définition classique me semble un peu complexe. Pour des raisons pratiques de thérapeute, face à des événements potentiellement traumatisants, j’en préfère une autre, plus simple, plus pratique et davantage conforme à la définition qu’en donne la physique des matériaux : 

« La résilience, c’est le retour à une résistance de nature psychoaffective d’un sujet ou d’une organisation mais, comme le dirait Boris Cyrulnik, qui ne sera plus comme avant ».

En fait, j’adhère totalement à la vision de Boris Cyrulnik lorsqu’il affirme que la résilience est « l’art de naviguer dans les torrents » (Le Monde de l’éducation, mai 2001). Cette définition présente aussi cet avantage précieux pour un thérapeute, celui de prendre en compte la trace laissée chez le sujet par l’expérience vécue.

La résilience est un processus de prévention, un locus de contrôle interne qui sera toujours travaillé en amont des situations difficiles. Pour les métiers exposés, en particulier pour les agents des forces de l’ordre, elle doit être acquise dès les premières années et certainement dès l’école de Police.

Le retour à la résilience doit aussi être la préoccupation des agents, des gradés comme des soignants mais en en postvention lorsqu’il s’agira de leur reconstruction après impacts (en particulier psycho traumatiques).

Dans un cas comme dans l’autre, on parlera alors de (re) préparation à l’élasticité, à la plasticité des structures psychiques, mais aussi de capacité à accueillir la fragilité, la déformation. Il est essentiel de transposer la résilience aux dimensions humaines.

L’utilité de la résilience pour les agents des forces de l’ordre

L’exercice de la sécurité intérieure conduit ces agents à être régulièrement exposés à des facteurs de stress importants et tout particulièrement en situation de maintien de l’ordre. Les grandes manifestations, les crises régulières des gilets jaunes, l’attaque d’un monument quasi sacré l’Arc de Triomphe ont su montrer à tous les violentes agressions physiques et verbales qu’ils subissent régulièrement pendant leurs missions. Comment ne pas penser aux conséquences directes et immédiates sur leurs santés (physique et surtout mentale) pourtant si peu connues du grand public et cela malgré les nombreuses images télévisuelles et comptes-rendus relatés en boucle par les chaines d’informations.

Pourtant, c’est d’abord la satisfaction d’avoir accompli la mission demandée par l’autorité qui est la source de leur satisfaction. Les hommes ont accompli leur devoir, celui d’avoir tout fait pour que la Loi soit respectée. Cependant, au cours des missions ou à leurs retours, ils ont pu ressentir l’incompréhension des explosions de violence alors même qu’ils ne s’y étaient pas forcément préparés. Ils ont dû réprimer des états émotionnels, supporter des situations délétères répétées que d’autres ne supporteraient pas. Ces accumulations de situations potentiellement traumatisantes ne sont pas sans conséquences sur les appareils psychiques. Il est donc préférable de les aider à s’armer préventivement aux exigences de leur travail pour ne pas risquer de décrocher et de subir. La résilience, personnelle et collective, va donc les préparer à affronter ces divers chocs.

Les médecins institutionnels, les psychologues, les sentinelles de police n’ignorent rien de tout cela et savent aider les blessés à se rétablir, à faire résilience. Ils possèdent de précieux outils pour les aider dans ces taches difficiles. Il ne faut donc pas hésiter à les solliciter avant ou après. L’accompagnement de ces professionnels, l’aide qu’ils peuvent apporter sont de puissants facteurs de résilience en les décentrant des problèmes, en leur permettant de mobiliser les propres forces, en leur proposant de choisir leur avenir pour le rendre réel. Par surcroit, cette aide leur permet aussi de lutter contre leurs vécus de solitude et la dissipation de leurs souffrances.

Nous sommes tous concernés lorsqu’il s’agit d’agir dans les contraintes extrêmes ou par la reprise d’un développement après un coup du sort. Le processus de résilience ne s’applique à tous comme aux personnes traumatisées. Le soin reste la réalité première des soignants et les thérapeutes doivent toujours amener à penser la vie non seulement en termes de passé (car il faut bien prendre conscience de l’acte et de ses racines) mais aussi en termes d’à-venir (ce qui vient à nous), en termes de devenir pour la poursuite de la mission, de la vie. Ainsi, chaque opérationnel qui se veut résilient doit vouloir poursuivre la mission, et cela même impacté.

 

Se former et se préparer à la résilience face aux situations d’exposition à la violence,

Trois axes de préparation sont nécessaires pour former à la résilience un agent engagé dans les missions de forces de l’Ordre.

  1. Le premier axe concerne le sujet avant l’action,

Avant de s’engager, le jeune adulte qui souhaite devenir et servir comme « Policier » devra réellement prendre conscience de ses capacités physiques et morales. Avant même de s’engager, il devra accepter les entraînements difficiles pour être sûr qu’ils seront en adéquation avec ses valeurs intrinsèques, ses qualités morales et psychologiques. Il devra les accepter, les accueillir avant même d’être exposé aux situations conflictuelles. Cette évaluation personnelle est déjà une prise de conscience et de connaissance de soi. Elle est déjà, en soi ,un facteur de résilience particulièrement important et utile pour réaliser puis évaluer le travail effectué par ses formateurs. Dans son cursus de formation, il apprendra à connaître et à mettre en place des capacités réactives non seulement en milieu Police, parce qu’on ne fait pas ce métier par hasard, et plus encore en lors des Maintiens de l’Ordre. C’est l’ébauche d’un épanouissement personnel et professionnel .

Pour avoir sollicité la résilience des élèves policiers, la réalité du terrain ne doit jamais être cachée. La jeunesse attend de nous un langage de vérité, plus encore dans ces métiers à vocation. Mais la vocation est-elle toujours présente dans ces métiers ?

Le plus souvent, c’est la motivation (l’intention d’atteindre un objectif) qui guide nos jeunes élèves. Elle n’est pas ce don du ciel promis à quelques-uns mais une faculté à atteindre pour tous. Si chacun l’a au plus profond de soi, elle se cultive jour après jour comme en témoigne la motivation innée de l’enfant qui veut vraiment apprendre à marcher. La motivation innée se transforme en détermination acquise.  Ce premier stade quasi contemplatif ne l’engage pas trop, ce sont les ruptures, les changements fréquents de situation qui le conduisent vers la détermination. Cet acte essentiel en Maintien de l’ordre suppose de ne pas cacher les difficultés des missions, de les préparer aux imprévus d’un monde parfois chaotique. C’est ce réel qui permet aux jeunes recrues une préparation à la résilience en acceptant de vivre dans des environnements instables et en apprenant à mettre les compétences au service d’une équipe.

Pour Edgard Grospiron, la construction d’une bonne préparation consiste à donner l’envie de réussir, en prenant du plaisir à vivre son métier et en y donnant le meilleur de soi-même. Mais susciter le désir de grandir évite de tomber dans la routine et permet de savoir ouvrir le champ des possibles.

Cette détermination suppose d’abord de la régularité dans ses entraînements physiques pour être capable de fournir les efforts nécessaires au moment voulu. S’engager à une pratique sportive parfois même intense suppose d’apprendre à donner du sens à son entrainement, un sens qui ne soit pas ouvert uniquement sur soi, sur son image mais aussi et surtout qui soit relation à autrui.

L’entraînement ne vise pas seulement l’harmonie du corps mais l’habituation à faire face dans les situations difficiles et / ou chaotiques. Pour cela, il s’agit de prendre en compte l’homme dans son unité, comme un tout corps, esprit et âme. L’entraînement doit aussi lui apprendre par l’effort, à se densifier dans un champ anthropologique. Développer un sens complet de l’être humain n’est pas travailler l’architecture. Par la répétition et la régularité des entraînements, le sujet découvre aussi les outils qui lui seront nécessaires pour surmonter des blessures psychologiques et rester apte au réengagement opérationnel.

Avoir une bonne connaissance de son matériel parce que ce n’est jamais sur le terrain qu’on le découvre et que l’on apprend à s’en servir. Le rôle des formations initiales consiste à aider le pratiquant à maitriser ses outils pour l’exercice professionnel.

Les expositions physique mais aussi psychique aux zones d’inconfort sont nécessaires. Elles serviront à l’élève à s’adapter aux situations imprévues et inattendues les faire évoluer. Il pourra ainsi connaître sa physiologie corporelle et mentale et apprendre sa réactivité émotionnelle. Il en aura tant besoin plus tard dans les assauts.

Apprendre à faire face à la confrontation, parfois à l’altérité menaçante lui permettra de ne pas être surpris d’abord par la violence parfois injuste mais aussi par le cadre des règles de justice. Se former pour savoir s’ajuster aux différentes situations tout en gardant sa propre personnalité, ses valeurs et ses vertus !

L’entraînement suppose aussi l’exposition régulière aux émotions (comme la peur par exemple). Il aura pour objectif de leur permettre d’apprehender la violence, les agressions, les misères sociales auxquelles ils ne sont pas forcément préparés. Ils devront apprendre à les découvrir pour les identifier, apprendre à s’en accommoder pour ne pas risquer un encagement émotionnel toujours préjudiciable en MO.

L’entraînement aux situations stressantes pour ne pas se laisser emporter par les effets délétères du stress. Se laisser encager par les états émotionnels, c’est risquer l’inaction ou pire encore la bavure en situation opérationnelle. Autant d’éléments à prendre en compte pour une reprise de contact avec le réel, avec l’ici et maintenant. Se construire ainsi, c’est posséder cette forme de résilience qui permet de pas croire à l’échec ou l’impuissance de l’action. Ce sont autant d’outils pratiques qui permettront de faire cesser la panique lorsque plus tard, en Maintien de l’ordre, l’esprit se projette dans une réalité qui n’est pas advenue, qui n’est pas dans l’ICI et MAINTENANT, la seule réalité qui soit en maintien de l’ordre ! Ainsi préparé physiquement, il pourra envisager le collectif des missions, accepter les ordres des chefs pour agir efficacement dans les situations complexes des Maintiens de l’ordre.

Les préparer, c’est aussi ne pas masquer la réalité de la vie d’un agent des forces de l’ordre. Trop souvent, les possibilités d’horaires décalés, les rappels au service pendant la période de congé n’entrent pas dans leur champ de possible tant l’idéalisation du métier prend le pas sur le réel du travail. Quant à la réalité des services en sous effectifs …

Le deuxième axe concerne le comportement de l’individu pendant la confrontation.

Aujourd’hui, avec son téléphone portable, chacun dispose d’une caméra. Dans les manifestations, pendant les interpellations domiciliaires, au cœur des interventions sur la voie publique, le policier devient la cible des surexpositions médiatiques et les images vidéos sont diffusées en direct ou le soir même dans les journaux télévisés. 

C’est au moment de l’action que la résilience suppose la capacité d’ancrage dans le présent, dans ce Chronos de l’immédiateté, dans le réel. Cette présence à la réalité de l’acte rendra toujours plus facile l’accès d’un individu à toutes ses sensorialités au lieu de laisser son esprit divaguer.

L’ancrage dans le présent permet aussi une perception active dont la connaissance est toujours liée à la pure sensation. Le filtrage des informations sensorielles de l’environnement sera toujours déterminé par l’attention du sujet et surtout par sa motivation.

Les modifications de l’environnement en situation de Maintien de l’ordre, le discours intérieur le plus souvent négatif, contaminent facilement l’esprit d’un opérationnel au lieu de le laisser à l’écoute des ordres donnés. Il prend alors le risque de voir ses réactions émotionnelles prendre le pas sur ses facultés attentionnelles.

  • L’émotion des situations difficiles génère souvent de la peur (malgré les moi, même pas peur). La gestion des émotions est particulièrement utile. L’expérience apprend à accepter l’émotion mais à ne pas la laisser s’installer. L’individu a le droit d’être surpris mais pas plus d’une seconde dit Patrick Lagadec. Le travail de la rusticité et de l’aguerrissement sera alors particulièrement utile pour permettre la maîtrise des situations insolites ou éprouvantes.
  • La violence de certains maintiens de l’ordre peut entraîner quelques-uns dans des formes de stress dépassés qui sont souvent le signe d’une préparation insuffisante. La résilience aura su rendre l’opérationnel vigilant. Il aura appris comment les en extraire[1], les ramener au réel par un contact physique afin de casser cet encagement psychique et les remettre dans l’action.

Pour permettre la résilience, la pratique régulière d’un bon rythme respiratoire (de type cohérence cardiaque) sera toujours très utile pour maitriser les émotions et garder la conscience du réel, de l’ici et maintenant. L’application « Respirelax » de nos smartphones sera d’une grande utilité pour s’y exercer.

Enfin, le troisième axe concerne l’après, l’état dans lequel se retrouve le sujet pour reprendre son état initial ? Quelles ressources a-t-il pu mettre en œuvre pour le retour au calme, ?

La décroissance de l’intensité d’une situation conflictuelle de terrain se réalise soit par un changement de situation soit par la décision du chef. Si l’accalmie est temporaire, le résilient saura changer de degré d’activation pour s’économiser et être capable de se remobiliser « à volonté » plus tard.

Chez ce sujet, l’accumulation et l’expulsion des impacts négatifs seront réalisées par la mentalisation positive associée à la respiration et le retour aux paroles échangées. En aucun cas, les discussions avec les pairs ne devront être banalisées ! Il arrive souvent que les plus anciens, les plus résilients engagent une sorte de défusing en fin de mission. Avec eux ou avec des professionnels, la parole sera toujours libératrice. Bien choisir son entourage sera toujours très important pour un opérationnel. Pourquoi ne pas préférer ceux qui sont eux-mêmes résilients, ceux qui savent être à l’écoute, les bienveillants et les soutenants. C’est une question de choix.

Accompagner toutes ces différentes étapes par la densification de l’Être me semble être un angle d’approfondissement intéressant.

La résilience est une capacité acquise de la personne Il n’existe pas de gènes de la résilience, elle est donc cette capacité acquise qu’il est toujours possible de renforcer. Faire résilience, c’est choisir une dynamique positive au lieu d’une inertie négative. En psychologie, c’est accepter de créer ou de renouveler un Moi » qui intègre le passé et son vécu mais qui accepte de se projeter dans un futur qu’il veut adapter aux réalités.

C’est aussi et surtout vouloir continuer à servir malgré les épreuves en ouvrant la porte à de nouvelles idées, à des stratégies d’intervention jusque-là inexplorées.

J’ose le répéter, la résilience doit être considérée comme un processus dynamique et évolutif, pour faire face aux épreuves de la vie.

Les interactions de la résilience

Si certains réussissent à s’adapter au mieux et d’autres non, une des réponses sera peut-être à rechercher dans l’interaction entre les facteurs de risque qui inhibent la résilience et les facteurs de protection capables de l’amorcer.

Nous devons donc les analyser.

1.    Facteurs de protection de la résilience

  • Parmi les déterminants les plus importants de la résilience, l’influence des styles d’attachement de la première enfance déterminants. Le développement de la personnalité du sujet intervient aussi dans sa construction, de même que le caractère psychologique, l’image qu’il a de lui-même (qui s’étudie à partir des 9 éléments formant l’image de soi), mais aussi sa capacité à savoir résoudre les problèmes (autrement dit la recherche de solutions aux problèmes et non à la focalisation sur les problèmes).
  • Le climat social soutenant est aussi un facteur important, celui d’une communauté policière, dans laquelle chacun est camarade et pas seulement collègue. C’est un facteur positif très important de résilience caractéristique d’une communauté à l’inverse d’un individualisme grandissant de la société. En quelque sorte, la vie communautaire des Compagnies Républicaines de Sécurité et celles des unités d’interventions semblent bien mieux les protéger non seulement en formant une sorte de 2ème famille mais aussi en les habituant à la solidarité d’une communauté.
  • Une vie familiale équilibrée, sereine et elle aussi soutenante prépare les policiers à se confronter aux difficultés de la vie ordinaire.
  • Si l’anticipation de tous les événements de vie difficile ne semble pas forcément possible, il sera toujours utile d’apprendre à se constituer en amont, lorsque tout va bien, un kit personnel facile d’emploi et toujours prêt pour les situations difficiles. Ces compétences venues de l’acquis sauront devenir rapidement des ressources qui auront lors des « temps difficiles », le goût de l’inné.
  • Une vision de la vie orientée vers l’avenir et la recherche des solutions. Être résilient, ce n’est pas avoir cette fâcheuse tendance à ressasser le passé qui ne permet pas forcément de comprendre le présent. La projection de soi dans le futur, nommée « pensée épisodique future », devient cette habileté favorable au développement individuel, tant dans ses capacités d’adaptation que dans ses objectifs individuels d’action. Se concentrer sur l’avenir offre généralement plus de protection et permet de mieux gérer le stress.
  • L’écoute des autres mais aussi et surtout l’écoute de soi permet d’établir l’ébauche de la maîtrise de soi. Prendre le temps de la reconnexion à soi est tout particulièrement utile en situation de maintien de l’ordre. Plusieurs outils semblent particulièrement utiles pour cela. Notons par exemple
    1. La méditation, stimulant très puissant du cortex préfrontal, qui améliore la concentration, la capacité de jugement et contrôle les états d’impulsion.
    2. La visualisation positive et la sophrologie, des aides certaines pour la résilience.
    3. La réévaluation cognitive parce qu’une situation comporte toujours plusieurs perspectives. Être résilient, c’est apprendre à penser différemment, à porter son attention vers le côté positif, sur ses apprentissages pour changer son état d’esprit et continuer.
    4. Prendre le temps avant de réagir surtout lorsque la situation le permet. Pourquoi ne pas penser à Viktor Frankl disant :

« entre le stimulus et la réponse il y a un espace…

Dans cet espace est notre pouvoir de choisir notre réponse.

Dans notre réponse réside notre croissance et notre liberté[2] ».

  • Il reviendra toujours à la hiérarchie de savoir verbaliser sa gratitude aux agents qui ne recherchent qu’à réaliser leur métier de la meilleure des façons possibles. La considération hiérarchique à la « base » est un réel facteur de résilience pour des sujets éprouvés.

 

  1. En revanche, Trois facteurs de risques empêchent la résilience face à un traumatisme (Boris Cyrulnik)

1.L’isolement du sujet

Il nous faut retenir cet adage « qui s’isole, s’étiole ». Seul, on n’a que peu de chance de reprendre un développement personnel et social. Le rétablissement des liens avec l’altérité est, avec le rétablissement des liens internes, la première des nécessités d’un blessé psychique pour éviter sa désocialisation.

  1. Le non-sens de l’action

La question du sens, aujourd’hui de plus en plus évoquée, ne renvoie pas uniquement à la direction de vie que le sujet doit prendre, elle doit l’amener à trouver la signification que son métier a pour lui. Avec la direction et la signification, la sensorialité autrement dit la saveur de la fonction procure doit être abordée. Quels ingrédients dois-je incorporer à ma vie pour qu’elle devienne agréable malgré les difficultés du chemin. Chacun a sa part dans l’organisation du sens, le chef comme le sujet.

Pour un Opérationnel, le non-sens d’une situation vécue est marqué par l’impossibilité et /ou l’incapacité à en faire un récit. Comment rebondir dans de telles conditions sans aide. L’écriture se révèle alors être un excellent outil. Elle est comme un cri – écrit. Ce cri qu’on ne peut pas dire, mais qu’

« il ne faut surtout pas le taire mais l’écrire. » disait Jacques Derrida.

  1. La honte, non pas la culpabilité

La honte est un véritable poison pour l’âme, même si elle figure au nombre des mécanismes de défense. Elle vise à désocialiser le sujet et peut trouver son origine  

  • Dans le désarroi de s’être vu excessivement fragile face à l’événement et / ou
  • dans la crainte d’être désormais perçu par l’entourage comme tel. (L’individu serait considéré comme constitutionnellement fragile).

Il en résulte une dégradation majeure de l’image de soi et en ce sens la honte est un facteur majeur d’anti-résilience. Pour Boris Cyrulnik, le mot honte fait partie du langage de terrier parce qu’il nous incite à se cacher, à nous protéger du regard des autres par peur des représentations mentales qu’ils peuvent faire sur nous. En un certain sens, il est plus utile de s’accepter imparfait que de ne pas s’accepter.

Dans la thérapie individuelle, l’art sera toujours d’une grande aide. J’utilise beaucoup en art thérapie le travail dans l’argile, dans la « Adama» parce que la terre renvoie à l’humus, à ce terreau constitutif de notre être. Avec elle nait non seulement l’humanité de l’être mais aussi son humilité, la première des vertus.

D’autres préfèrent utiliser le Kintsugi, cet art qui cherche à sublimer les blessures. Récemment, j’ai retrouvé l’œuvre d’art représentant le crâne de Sylvain Tesson présentant ses multiples blessures de la face mais réparées.

[1] Il faut les toucher physiquement par la manche ou par le col pour les ramener à la corporéité. Ensuite, il convient de les sortir de cette situation en leur donnant un acte simple à faire par des ordres clairs, des phrases courtes et une voix forte.

[2] Viktor Frank, Nos raisons de vivre, à l’école du sens de la vie, 1969, éditeur Inter Editions

Il m’arrive aussi de permettre aux blessés de convoquer un des transcendantaux pour les aider à se réparer. J’emploie la Beauté parce qu’elle est directement accessible, le plus souvent sous nos yeux, et dans mon cabinet à ciel ouvert, je la cherche sous une forme rare de feuille d’or

Mesdames Messieurs, il est vrai que la vie ordinaire nous sollicite en permanence. Par ses nombreux impacts, elle nous oblige à trouver des stratégies d’adaptation pour faire Face, pour mettre en œuvre des ressources et continuer. La réalité de la vie collective nous amène à devenir ces tuteurs de résilience pour ceux qui souffrent et qui en ont tant besoin. Nous devons leur montrer un avenir désirable, une promesse de lumière. En un mot l’aurore.

La construction identitaire est donc essentielle, tout particulièrement pour ceux qui assurent cette fonction si importante de sécurité publique. Plus la mission est difficile et plus il est important de se prémunir et de s’armer. La densification de l’être me semble être un excellent moyen pour cela.

Je vous remercie de votre écoute patiente et attentive.

[1] Il faut les toucher physiquement par la manche ou par le col pour les ramener à la corporéité. Ensuite, il convient de les sortir de cette situation en leur donnant un acte simple à faire par des ordres clairs, des phrases courtes et une voix forte.

 [2] Viktor Frank, Nos raisons de vivre, à l’école du sens de la vie, 1969, éditeur Inter Editions

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Archives